« Aucun blanc, quelle que soit sa nation, ne mettra le pied sur ce territoire, à titre de maître ou de propriétaire et ne pourra à l’avenir y acquérir aucune propriété ». Article 12 de la Constitution impériale d’Haïti (1805). De ce mot d’ordre, mieux encore, de cette résolution prudente et péremptoire prise par le Généralissime Jean-Jacques Dessalines, qui se souvient encore plus de deux siècles après son honteux assassinat ? Aujourd’hui, dans ce difficile contexte de mondialisation, même le plus petit pays à la presque-insignifiante histoire nationale garde ou tente de garder précieusement sa Souveraineté comme une jeune femme vertueuse des temps éculés garderait jalousement sa virginité. Mais, paradoxalement, Haïti, la matrice d’où est sortie la Liberté dans sa double dimension ontique et ontologique, s’ouvre les entrailles comme une vile catin aux blancs de toutes les couleurs. Voilà une vérité aussi laide que les mots qui l’expriment ! 217 ans après la mort de l’Empereur, Haïti ne se reconnaît plus dans sa Vision, encore moins dans son Idéal. Idéal qui, hélas, du vivant de l’Empereur n’a pas eu le temps de s’imprimer dans le réel. Sous le gentil prétexte d’amitié, les blancs ont dépassé et torpillé toutes les bornes dessaliniennes, devenant ainsi plus que maîtres et propriétaires de terres haïtiennes, mais des dieux régnants et régents. En fait, ce sont les Tout-puissants, en l’occurrence les Etats-Unis, la France, le Canada, qui donnent, ordonnent et sanctionnent. Et, l’affront est tel que ceux-là qui recèlent encore quelque part en eux une toute petite once de Patriotisme s’interrogent, perplexes : dans nos veines coule-t-elle encore une goutte de sang dessalinien ?
Aujourd’hui plus qu’hier, notre réalité de peuple est, à tout point de vue, contre-dessalinienne. (Ré)-esclavisés, nous subissons, sans broncher, tant sur le plan sociopolitique que sur le plan économique le poids de la colonisation dans ses formes assimilées. Nos dirigeants se lient indéfectiblement aux puissances étrangères au point d’en devenir les otages ; tous leurs faits et gestes, tous leurs parcours politiques se retrouvent sous contrôle. Fils d’impénitents Guerriers de la première heure, à l’heure qu’il est la sécurité de notre territoire est l’objet de surenchères aux fins fonds d’Afrique de l’Est. Gâchis ! Comme pour mieux trahir l’Intelligence de cet Homme d’airain qui avait su organiser la première Révolution sociale du continent, Haïti recule toujours devant toutes les perspectives d’un changement social complet. De la chute du régime des Duvalier (1986), en passant par l’arrivée au pouvoir de Jean-Bertrand Aristide (1991), le tremblement de terre dévastateur de 2010, pour aboutir au contexte d’insécurité généralisée d’aujourd’hui qui appelle par mille signes notre sens du compromis, Haïti a raté et s’arrange encore à rater tous les rendez-vous avec le développement social, sécuritaire, économique… Ainsi, nous violons allègrement toutes les règles et mises en garde du Père fondateur, ce Génie dont la haine de l’esclavage faisait toute sa vertu.
Haïti n’est pas abonnée aux malheurs. Loin de là ! Tant par son sens révolutionnaire que par sa capacité manifeste de Rassembleur, Jean-Jacques Dessalines avait su prouver le contraire. « Comment parvenir à l’Indépendance, si toute l’étendue du territoire n’était pas mobilisée, si un grand nombre d’indigènes continuait à servir la cause française ? » se demandait ce Généralissime dont la marche et la démarche annonçaient de très tôt le Chef d’Etat et l’Empereur. Même si on ne se la pose pas, la même question s’impose aujourd’hui en d’autres termes : comment atteindre changement, croissance et développement, si à travers toute l’étendue du territoire nos fils et filles ne sont pas éduqués, si nos dirigeants continuent à courber l’échine face à une communauté internationale en crise et qui ne fait pas grand cas des misères et malheurs de la Première République noire ? Puisque l’ère est définitivement au changement, l’heure a sonné de nous (ré)approprier l’Idéal dessalinien dont la Justice sociale et l’Unité nationale constituent le socle. C’est notre seul salut ; la seule chance que nous puissions offrir à l’âme du Général en quête de paix depuis 217 ans.
GA
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